Philippe Gouillou, journaliste et vulgarisateur scientifique, est un expert reconnu dans l'étude du quotient intellectuel (QI) depuis plus de 25 ans. Il est l'auteur de "QI : Des causes aux conséquences - De la génétique au capitalisme cognitif", un livre qui explore l'impact du QI sur nos sociétés et économies (Douance).
Dans l'article "QI et Richesse" pour le Cercle Cobalt, Philippe analyse le lien entre intelligence et succès économique, s'appuyant sur des recherches rigoureuses pour éclairer ce sujet complexe.
“La philosophie et les matières connues sous le nom “d’humanités” sont encore enseignées comme si Darwin n’avait jamais vécu. Cela changera certainement en son temps.”
Richard Dawkins
La richesse provoque-t-elle un haut QI ? C’est que qu’affirme Wilfried Lignier (2022), auteur de La petite noblesse de l’intelligence (éditions La Découverte), qui aurait pourtant passé 10 ans à étudier le sujet de l’intelligence humaine. En réalité la causalité est dans le sens inverse : c’est l’intelligence qui augmente les chances d’être riche, mais sans garantie.
QU’EST-CE QUE LE QI ?
Il faut d’abord comprendre à quoi correspond le QI. Celui-ci est un indicateur de l’Intelligence Générale, laquelle se définit comme “la variance partagée existant entre plusieurs mesures de capacité cognitives” ((Hill et al., 2018). En termes plus simple, elle correspond à ce qui est commun à toutes les capacités cognitives, elle est ce qui explique pourquoi, sur le grand nombre, on trouve une forte corrélation entre les différents tests cognitifs. C’est comme la force physique : on n’a généralement pas la même force aux bras droit et gauche, mais sur le grand nombre ceux qui sont plus fort du bras droit le seront aussi du bras gauche, ils montrent une plus grande “force générale”. Et chez les humains, cette Intelligence Générale explique environ la moitié de la réussite à des tests cognitifs (alors que chez les chiens elle n’en explique que 17% : Douance, 2016a). Il faut bien comprendre que l’intelligence générale correspond à l’intelligence en tant que force cognitive (potentiel), pas en tant que résultat (talent ou génie). De même que deux personnes ayant la même force physique peuvent ne pas montrer la même adresse et donc ne pas parvenir à faire les mêmes choses, deux personnes à QI identique ne montreront pas le même niveau de production intellectuelle. En fait, on sait même que plus le QI est élevé, plus les personnes seront différentes.
La difficulté est que, contrairement à la force physique, il n’existe pas d’étalon externe de l’intelligence. On peut mesurer la force d’une personne par le nombre de kilos qu’elle est capable de porter, on n’a rien de tel avec l’intelligence. Aussi le QI ne correspond pas à une mesure au sens strict, mais à une comparaison avec les autres.
Chez les enfants on peut l’indiquer en âge mental. Par exemple, un enfant de 10 ans qui réussit les tests normaux d’un enfant de 13 ans est dit avoir un QI en âge mental de 130. Cela n’est pas possible chez les adultes, aussi le QI indique alors seulement le rang de la personne comparativement aux autres : c’est la fameuse Courbe en Cloche, qui représente une distribution suivant une “Loi Normale”. C’est exactement comme si au lieu de mesurer la taille d’une personne en mètres, on ne pouvait connaître que le nombre de personnes plus grandes ou plus petites qu’elle. Dans ce cadre, un QI standard de 130, soit 2 écarts-types au-dessus de la moyenne, nous indique juste que la personne testée a obtenu un meilleur résultat que 97,7% de la population, qu’elle est dans les top 2,3% supérieurs. Par convention, on appelle ces top 2% (on arrondit) “surdoués” ou “HQI” (ou, plus récemment, “HPI : Haut Potentiel Intellectuel”).
LES CONSÉQUENCES DU QI
Cela fait maintenant plus d’un siècle que le QI est étudié par des milliers de chercheurs à travers le monde. C’est qu’on s’est aperçu d’une force extraordinaire du QI : si au niveau individuel un test peut être faussé par la forme physique du testé ce jour-là, ou par son entraînement à ce type de test, ou par d’autres facteurs, sur le grand nombre ces erreurs s’annulent. En fait aucun autre test psychologique n’atteint le niveau de validité du QI. Et les résultats sont fascinants.
Tout d’abord on sait maintenant que l’Intelligence Générale correspond à une caractéristique biologique de la personne, et qu’elle est surtout d’origine génétique : on commence même à découvrir les gènes en jeu, et la sélection génique permettrait déjà d’augmenter le QI de 1 point (Jensen, 2024) ce qui, comme nous le verrons, n’est pas négligeable
.
On sait aussi que le QI est l’agrégat psychologique le plus corrélé avec de nombreux critères jugés positifs : un plus haut QI est lié à une meilleure santé, à une plus grande satisfaction de vie (bonheur), à un niveau social plus élevé, à moins de criminalité, et bien sûr à beaucoup plus de chances d’inventer ou de découvrir quelque chose d’important pour la société (grands scientifiques, etc.).
Et c’est au niveau économique que les corrélations sont les plus importantes. Lynn & Vanhanen (2002) ont trouvé que le QI moyen d’une nation est le facteur le plus corrélé avec son PIB, plus encore que le degré de liberté économique. En d’autres termes : la richesse d’un pays dépend plus du QI moyen de ses habitants que de la politique qui y est menée (Douance, 2002). Bien sûr une politique socialiste va détruire ce lien (par exemple la Corée du Sud est incroyablement plus riche que la Corée du Nord alors qu’elles proviennent de la même population ayant la même culture), mais sur le grand nombre l’effet est très net. Le plus important est que cette influence augmente au cours du temps : le QI moyen de ses habitants détermine de plus en plus la richesse d’un pays, et les conséquences sociales en sont majeures (Base Eco 11). A la suite des anglophones on nomme ce phénomène “Capitalisme cognitif” (Douance, 2021), ce qui est un terme assez mal trouvé : il s’agit en fait de l’effet du “Capital cognitif”, le Capitalisme, qui est l’organisation de la propriété privée du capital (Base Eco 3), n’a rien à voir là-dedans.
LA VIE DU SURDOUÉ
Si au niveau collectif on a trouvé énormément de corrélations du QI, qui permettent d’expliquer de nombreux phénomènes économiques et sociaux, il est beaucoup plus difficile de déterminer quel est l’impact du QI sur une personne individuelle, et cela surtout pour deux raisons.
La première est qu’il est très difficile de construire un échantillon représentatif des hauts QI, beaucoup de personnes ayant un QI supérieur à 130 ne le savent tout simplement pas. Ce sont surtout les personnes rencontrant des problèmes qui sont testées, pas les autres. En conséquence, les échantillons de personnes sachant qu’elles ont un haut QI sont fortement biaisés négativement. On ne peut pas non plus se tourner vers le diplôme comme indicateur d’un haut QI. Il y a bien une corrélation entre QI et niveau d’études, mais celle-ci est en chute (Douance, 2022) : l’éducation sélectionne de plus en plus sur le caractère consciencieux et la conformité (Billet Eco 19), et de moins en moins sur l’intelligence.
La deuxième est tout simplement le problème du nombre : la courbe en cloche descend très vite. Si 2,3% ont un QI supérieur à 130 (HQI), ils ne sont plus que 0,13% à atteindre 145 (THQI) : seulement 5,6% des HQI sont THQI (globalement 1/20). On ne peut pas détecter les particularités des THQI à partir d’un échantillon de HQI !
Aussi Emil O. W. Kirkegaard (2022) a pris une autre approche : il a regardé quel pourcentage de la population réussissait, ou pas, un item d’un test cognitif. Il a ainsi trouvé que les personnes à plus haut QI détectent mieux plus d’informations complexes pertinentes parmi des informations sans intérêts. Mais son approche plafonne à 3% de la population (soit un QI de 128).
Une des conséquences de cette difficulté est qu’on constate au cours des années comme un effet de pendule : à certaines périodes le surdouement est présenté comme un problème important, voire un handicap, ce qu’il n’est bien sûr pas, et quelques temps après il l’est comme un avantage pur, les difficultés rencontrées par les surdoués étant toutes attribuées à des causes externes, ce qui n’est pas plus solide. Et puis ça rebascule.
L’étude longitudinale la plus célèbre, celle de Lewis Madison Terman (1877–1956) donne cependant une indication. Dans un célèbre article paru dans Gift of Fire, le journal du club Prometheus (qui rassemble les QI supérieurs à 160 : 1 personne sur 31 560), Grady M. Towers (1987) a repris cette étude pour montrer que plus le QI était élevé, plus la personne risquait d’être inadaptée, sauf quand elle avait bénéficié d’un environnement très adapté. Il est important de noter que la cause de cette inadaptation n’était pas l’intelligence générale en elle-même mais la solitude qui l’accompagnait (voir Douance, 2016b et Douance : FAQ THQI). Hollingworth (1942) avait en effet trouvé qu’il existe une sorte de fenêtre de communication, c’est-à-dire que ceux qui ont plus de 2 écarts-types (30 points) de différence de QI ne peuvent pas communiquer de manière authentique, or ceux pouvant correspondre sont de plus en plus rares plus le QI est élevé (voir les calculs à : Douance, 2004). On peut considérer qu’il y aurait comme un maximum à ne pas dépasser : de même qu’une personne extrêmement grande rencontrera beaucoup de difficultés dans sa vie quotidienne, une personne à QI extrême sera elle aussi inadaptée à un environnement de personnes normales. Plus généralement être à plus de 2 écarts-types sur un critère, même positif (taille, intelligence, beauté,…), pose des problèmes qui croissent avec le niveau d’écart.
Il semble bien que ce soit surtout à ce niveau de manque de “pairs” que se posent les problèmes rencontrés par les enfants surdoués dans le système éducatif. Mais ce n’est pas le seul. Si les surdoués ont plus de chances de réussir leurs études, ils peuvent avoir besoin de trois adaptations pour s’épanouir : l‘enrichissement, l’approfondissement, et l’accélération (FAQ Douance). La chute du niveau éducatif, due entre autres à la volonté de ne plus instruire mais “éduquer”, est une catastrophe pour eux. Pire : ils sont de moins en moins les seuls, de plus en plus d’enfants se retrouvent trop sous-stimulés et en état de manque. L’augmentation du nombre de demandes de saut de classe ou d’aménagement scolaire ne s’explique pas seulement par une question de mode mais plutôt par un besoin en hausse.
A l’âge adulte le surdoué, s’il n’a pas été broyé par le système scolaire, aura plus de chances de réussir socialement. Il sera donc en moyenne plus riche (un point de QI supplémentaire correspond aux USA à entre plus 40 000 et plus 90 000 dollars au cours d’une vie : Jensen, 2024) et, comme le QI est fortement influencé par la génétique, il aura aussi plus de chances d’avoir des enfants plus intelligents que la moyenne. Cela ne signifie pas que la richesse crée l’intelligence, mais au contraire que l’intelligence facilite la réussite sociale. Et cela ne signifie pas non plus que seuls les riches sont intelligents, mais juste que ces derniers ont plus de chances de faire partie des premiers. Par exemple en Chine, entre 1371 et 1904, seulement 31% des Mandarins (sélectionnés par concours sur leurs capacités cognitives) provenaient de milieux ordinaires (Ho, 1959).
L’IMPORTANCE DU QI
Il reste énormément de questions qui se posent sur le QI et de très nombreux chercheurs continuent leurs travaux. On aurait par exemple pu citer les liens THQI-Asperger : cette forme d’autisme de haut niveau apparaît potentialiser le QI, au point qu’on la retrouve disproportionnellement chez les plus grands intellectuels et les plus grands scientifiques, mais un grand nombre de ceux qui sont ainsi “doublement exceptionnels” se retrouvent en situation de précarité. On aurait pu évoquer la chute du QI génotypique ces derniers 150 ans, et les hypothèses pour l’expliquer (Douance, 2019). Et surtout on aurait pu aussi se demander pourquoi les parents cherchent souvent à viser le meilleur niveau social pour leurs enfants. Mais là aussi c’est un domaine qui a très bien été étudié scientifiquement : par la Psychologie Évolutionniste (Evopsy, 2004).
Mais ce n’est pas parce qu’on ne sait pas tout qu’on ne sait rien. Les études du QI ont démontré sa très forte validité et sa très forte influence sur de très nombreux critères sociaux et économiques, et donc son impact sur la vie individuelle. Ne pas le prendre en compte dans ses études est se garantir d’échouer à expliquer quoi que ce soit (Gouillou, 2024).
Philippe Gouillou
3 août 2024
RÉFÉRENCES
Base Eco 3 : Qu’est-ce que le Capitalisme ? Philippe Gouillou. Monaco Business News 71. 15 juillet 2020
Base Eco 11 : Capitalisme Cognitif. Philippe Gouillou. Monaco Business News 76. 30 octobre 2021
Billet Eco 19 : L’éducation est-elle la clé de demain ? Philippe Gouillou. Monaco Business News 63. 5 juillet 2018
Douance :
1999 : Table de conversion du QI (Wechsler <-> Catell). Philippe Gouillou. Douance. 1999 - Mise à jour : 24 novembre 2011
2002 : IQ and the Wealth of Nations de Lynn et Vanhanen (2002). Philippe Gouillou. Douance. 21 juin 2002 - Mise à Jour : 1 mai 2019
2004 : Répartitions théoriques du QI en fonction du QI moyen de la population. Philippe Gouillou. Douance. 24 juin 2004 - Mise à jour : 20 mai 2017
2016a : Le QI des chiens. Philippe Gouillou. Douance. 30 juillet 2016
2016b : Les Outsiders (Grady M. Towers). Philippe Gouillou. Douance. 14 août 2016 - Mise à jour 14 décembre 2020
2021 : FAQ Capitalisme Cognitif. Philippe Gouillou. Douance. 29 août 2021 - Mise à Jour : 11 avril 2024
2022 : Éducation : un diplôme est-il encore une preuve de haut QI ?. Philippe Gouillou. Douance. 17 Avril 2022
FAQ Enfants Surdoués (FAQ Douance). Philippe Gouillou. Douance. Janvier 1997 - Mise à jour : 8 Juillet 2023
FAQ Très Haut QI (supérieur à 145 = THQI). Philippe Gouillou. Douance. 17 août 2016 - Mise à jour : 16 janvier 2024
Gouillou, P. (2024). QI : Des causes aux conséquences - De la génétique au capitalisme cognitif. Gouillou.com. ISBN: 978–2–9593985–1–3
Hill, W. D., Marioni, R. E., Maghzian, O., Ritchie, S. J., Hagenaars, S. P., McIntosh, A. M.,… Deary, I. J. (2018). A combined analysis of genetically correlated traits identifies 187 loci and a role for neurogenesis and myelination in intelligence. Molecular Psychiatry. doi:10.1038/s41380–017–0001–5
Ho, P. (1959) Aspects of social mobility in China, 1368–1911, Comparative Studies in Sociology & History, 1, pp. 330–359.
Hollingworth, L. S. (1942). Children Above 180 IQ (Stanford-Binet): Origin and Development. Arno Press.
Jensen, S. (2024). How profitable is embryo selection for IQ in the United States right now? Sebjenseb, (July 08).
Kirkegaard, E. O. W. (2022). How many people can solve this kind of problem?. Clear Language, Clear Mind. 26 mars 2022
Non, votre enfant n’est pas HPI, vous êtes juste riche. Interview de Wilfried Lignier par Laure Coromines. L’ADN. 23 mai 2022
Lynn, R., & Vanhanen, T. (2002). IQ and the Wealth of Nations. Praeger Publishers. ISBN:978–027597510X
Towers, G.M (1987). The Outsiders. Gift of Fire (The Prometheus Society’s Journal). Issue 22 (April). Re-issued in Issue 72 (March 1995).